Cher Esci,
La première fois que nous nous sommes rencontrés, je t’ai
détesté, viscéralement.
Tu représentais mon échec, ma honte : je n’arrivais pas à m’en sortir
seule. On m’avait élevé en me disant qu’il fallait que je souffre en silence,
que je ne devais compter que sur moi-même donc j’en avais déduit que pour être
forte et aimée, il ne fallait pas demander d’aide. Et tu étais là…
J’ai détesté la manière dont le pharmacien m’a regardé en me donnant ma
première boîte, pour moi c’était de la pitié, j’avais encore plus honte alors
que ce n’était certainement que de l’empathie. J’étais dans un tel état… Je ne
pesais plus que 47 kg et je n’avais dormi que 3h durant la semaine qui avait
précédé ta venue.
J’avais tout essayé pour m’en sortir seule mais je m’enfonçais
toujours un peu plus. Cela faisait un bon mois que je refusais d’entendre que j’avais
un problème sérieux et je n’ai accepté d’aller voir mon médecin seulement parce
qu’un soir, j’ai réellement pensé à sauter. C’était inconcevable car au fond de
moi, je savais que j’aimais la vie et que je n’avais pas envie de mourir.
La première fois que je t’ai avalé, je n’ai pas voulu te
regarder et je t’ai affublé du surnom de « pilule du bonheur » pour
te rendre ridicule. J’avais peur que tu fasses de moi une autre personne ou que
tu échoues, qu’allais-je faire ?!
Tu n’as rien dit et tu m’as aidé :
tu m’as rendu le sommeil, qu’est-ce que j’ai dormi ces 15 premiers jours, c’était
si bon ! Tu as fais barrière pour m’aider à prendre du recul. Le vacarme
assourdissant dans ma tête s’est fait moins fort, je me suis apaisée.
Cela a duré comme ça 6 mois, je t’en voulais car moi, j’avais
échoué et en même temps, j’ai eu peur quand le médecin a commencé l’arrêt,
comment allais-je faire sans toi ? Est-ce que tu avais suffit à tout
reconstruire ?
Non, bien sûr que non et ce premier arrêt fut un désastre
annoncé. Bien évidemment que tu ne pouvais pas reconstruire ce qui avait été
détruit car il ne restait plus rien qu’un champ de ruines.
Alors, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée
voir un psychiatre, il t’a remis dans ma vie. Mais surtout, il m’a aidé à
mettre des mots sur mes blessures. Je me souviens de cette simple phrase qu’il
a prononcé : « il n’a rien de normal ou d’anormal, il n’y a que vous
et ce que vous êtes ». Alors pour la première fois, je me suis regardée et
j’ai arrêté d’avoir honte de qui j’étais, de ce que je voulais. Tant pis, si
cela ne correspondait pas aux normes, tant pis si cela décevait.
Cela fait maintenant pratiquement deux ans que je te prends
et que je vais voir le psy.
Mes séances sont souvent éprouvantes et me font travailler
intérieurement comme jamais auparavant. Mais dieu ce qu’elles me font du bien !
Elles me laissent grandir, m’épanouir tel que je veux être. J’apprends à m’aimer
et à prendre soin de moi, à être plus égoïste car il est primordiale que je
sois bien avant de pouvoir faire quoique ce soit pour les autres.
Il y a maintenant une dizaine de jours, j’ai senti que j’étais
prête. Prête à te quitter. Je commence mon arrêt, il se fera par palier et sera
long mais je l’ai accepté et j’en ai besoin. Merci petite pilule du bonheur, sans toi, je ne m'en serais pas sortie...
En écrivant ces lignes, je pleure. Pas de tristesse ou de
peine. Non, je pleure car je me rends compte, enfin, de ma valeur et du chemin
parcouru. Je me rends compte que finalement, j’ai fais preuve de courage. J’ai
eu le courage d’engager le combat et de tout faire pour m’en sortir.
Je ne suis pas faible et il n’y aucune honte à demander de l’aide quand on a
atteint ses limites.
Je suis tombée en dépression non pas parce que je n’étais
pas assez mais parce que j’étais trop. J’étais perdue et je n’avais plus aucune
idée de qui j’étais car j’avais trop donné et je m’étais oubliée en chemin.
Ces lignes, je les dédie à ma famille ainsi qu’à T. et S.
Sans ces personnes, je me serais foutue en l’air ce soir-là sur mon balcon.
Vous êtes restées, vous m’avez offerts tellement que je n’ai pas de mots pour
vous exprimer ma gratitude. Alors merci d’être ces personnes extraordinaires et
de faire partie de ma vie. Merci de ne pas m’avoir abandonnée. Merci pour votre
amour sans faille.
A ceux qui lisent ces lignes et qui sont dépressifs :
ce combat est dur mais je sais que vous y arriverez car vous êtes uniques. Vous
avez votre place et vous la trouverez. Vous pouvez vous en sortir, je vous
envoie plein de courage et de force. Vous êtes courageux de mener ce combat, ne
l’oubliez jamais.
A ceux qui connaissent un dépressif : vous vous sentez
impuissants, c’est normal. Mais cela ne veut pas dire que vous êtes inutiles
dans ce chaos. Le simple fait d’être là pour la personne est la meilleure aide
que vous pouvez lui apporter.
Quand elle vous dit qu’elle ne veut pas sortir car elle est fatiguée. Ne le
prenez pas mal, ne pensez pas que c’est une feignante. Elle est réellement
fatiguée, elle mène un véritable combat en elle.
La dépression est une maladie invisible mais les dégâts sont
bien réels. Un dépressif est donc un malade au même titre qu’un malade de la
grippe ou du cancer.
Certains diront que les antidépresseurs
sont de la merde et qu’on peut s’en passer. Sincèrement, je n’en sais rien,
peut-être mais dans certains cas, dont le mien, on n’a pas le choix car on est
au bout.
Soyez compréhensif envers le malade et son traitement.